- TRANSCRIPTIONS ET TRANSLITTÉRATIONS
- TRANSCRIPTIONS ET TRANSLITTÉRATIONSLorsqu’on se réfère aux dictionnaires, on s’aperçoit que les définitions des mots «transcription» et «translittération» restent imprécises, sinon contradictoires, et renvoient très souvent à des notions plus générales telles qu’« écriture » ou «notation». Un premier travail de mise au clair s’impose donc: comment chaque terme se définit-il par rapport aux autres par ses usages et son champ d’application?Le seul élément de spécificité semble être leur extension différente. Le terme de notation couvre le plus grand nombre de domaines puisqu’on l’utilise à propos des langues mais aussi de la chimie, de la musique, des gestes, etc. Vient ensuite l’écriture , d’extension moindre et se rapprochant davantage de la transcription sans toutefois s’identifier à elle. Par l’écriture peuvent être représentés aussi bien les concepts (écriture idéographique) que la parole (écritures syllabique, alphabétique).C’est dans ce deuxième aspect seulement, lorsqu’on écrit une langue en considérant non plus son contenu mais son expression propre, au terme d’une analyse plus ou moins fine de ses éléments phoniques, que l’on pourrait parler de transcription. Mais, pour des raisons qu’il convient de rechercher dans l’histoire de l’écriture, l’écart entre la représentation graphique d’une langue et sa prononciation n’a cessé d’augmenter (les différentes tentatives de réforme de l’orthographe en français en sont un exemple flagrant). Aussi la transcription est-elle devenue une opération nécessaire pour l’étude scientifique de la langue parlée. À cet effet, aucune écriture existante n’étant satisfaisante (les lettres ont plusieurs valeurs selon leur place dans le mot et leur combinaison avec d’autres lettres), ont été créés (à partir de divers éléments, soit nouveaux, soit empruntés aux alphabets connus) des systèmes graphiques capables de représenter sans risque de confusion les différentes réalisations phoniques existant dans le plus grand nombre de langues.Enfin, la translittération , d’extension plus limitée, est l’opération par laquelle on passe d’un alphabet utilisé pour l’écriture d’une langue à un autre alphabet (par exemple, pour le russe, la translittération des caractères cyrilliques en caractères latins).TranscriptionsTranscriptions des réalisations phoniquesPour transcrire des réalisations phoniques, diverses tentatives ont été faites que l’on peut regrouper en trois types d’alphabets.Les alphabets de type organique se veulent universels et immédiatement lisibles par tous grâce à leur représentation symbolique des mouvements ou des positions des différents organes impliqués dans la phonation. À ce groupe appartiennent les systèmes imaginés par J. B. Van Helmont, Wilkins au XVIIe siècle, Ernst Wilhelm von Brücke au XIXe et surtout Alexander Melville Bell, dont le visible speech , présenté à Londres entre 1865 et 1867, au cours de séances publiques, a suscité un grand intérêt. Il comporte cent vingt-neuf lettres composées de soixante et un caractères différents. Par exemple, les occlusives sourdes y sont représentées au moyen du caractère qui symbolise l’ouverture de la glotte (sourdité) et du trait qui indique la fermeture du passage de l’air (occlusion). Le symbole ainsi obtenu, , peut être renversé, tourné vers la gauche ou la droite selon le lieu d’articulation du son qu’il représente: = p , = t , = k. Quant aux voyelles, réalisations phoniques sonores, elles comportent toutes dans leur représentation l’élément symbolisant la contraction de la glotte pour la mise en vibration des cordes vocales (sonorité). Si ce système n’est plus employé aujourd’hui dans sa totalité, certains de ses éléments continuent d’être utilisés par d’autres alphabets. Son principe même a été repris sur le plan acoustique par R. K. Potter, G. A. et H. G. Kopp dans un ouvrage au nom révélateur, Visible Speech (New York, 1947), sans que la classification des sons à laquelle ces travaux ont abouti ait donné lieu à une écriture particulière.Dans la même intention de représenter la part prise par chacun des organes dans la production des sons, il faut signaler la tentative d’Otto Jespersen. Son système antalphabétique «permet de symboliser la formation des sons à l’aide de lettres grecques, lesquelles représentent les organes de la parole (lèvres, pointe de la langue, etc.), de chiffres, lesquels représentent le degré et la forme de l’ouverture lorsqu’il y en a une (0 = fermeture, 1, 2, 3, etc. correspondant à des sons de plus en plus ouverts), et enfin de lettres latines en indice supérieur, lesquelles correspondent au point d’articulation: on peut ainsi analyser la voyelle contenue dans le mot anglais «full» comme 見3b 廓,, 塚4j 嗀0 﨎1» (O. Jespersen, La Syntaxe analytique ). Si complète que puisse être la description de ce son, on comprend aisément qu’on ne puisse retenir un tel système dans la pratique courante. Aussi en vient-on à un troisième type d’alphabets qui, bien que moins précis dans leur représentation des réalisations phoniques, sont infiniment plus commodes.Ces systèmes, qui se donnent comme règle un seul signe pour un son, un seul son pour un signe, utilisent les lettres d’alphabets connus (surtout latin et aussi grec) avec la valeur qu’elles ont dans la plupart des langues, les enrichissant de signes diacritiques pour les sons qu’elles ne sont pas aptes à représenter ou bien recourant à la création de graphèmes nouveaux. Selon la prépondérance de l’un ou l’autre de ces enrichissements, on obtient deux catégories d’alphabets. À la première appartient le standard alphabet imaginé par Lepsius en 1855 (tabl. 1); il a été adapté aux diverses langues à décrire, et l’on a aujourd’hui, dérivés de lui, les alphabets des romanistes, des germanistes, des africanistes... À la seconde appartient l’international phonetic alphabet (I.P.A.) élaboré entre 1886 et 1900 par Paul Passy et Daniel Jones; les signes diacritiques n’en sont pas totalement exclus mais sont surtout réservés à l’indication des caractéristiques des sons, telles la durée, la hauteur, l’intensité (tabl. 2).Représentations de l’intonationOutre les signes utilisés pour la transcription des sons isolés, il en existe d’autres qui sont destinés à la délimitation des unités linguistiques (par exemple + ou 漣 pour isoler les monèmes, les mots). Dans cette fonction de délimitation, un rôle important est joué par l’accent (noté par une apostrophe précédant la syllabe sur laquelle il porte) ainsi que par l’intonation, qui était, dans les années 1970, au centre des préoccupations des chercheurs.Pour représenter celle-ci, on utilise souvent la configuration qui indique, à l’intérieur d’un segment déterminé de la phrase, soit l’évolution de hauteur de la voix au moyen d’une courbe continue, soit les hauteurs relatives de chacune des syllabes à l’aide de traits ou de points (fig. 1).On fait également appel aux niveaux de hauteur (au minimum trois: aigu, médium, grave). Cette représentation, qui se veut plus précise que la précédente, reste fondée néanmoins, le plus souvent, sur une estimation subjective. La détermination des niveaux pose en effet de délicats problèmes psychophysiques et psychoacoustiques (seuil de perception de la hauteur, surtout en contexte).On peut aussi combiner les deux. P. Delattre a ainsi établi, à des fins didactiques, les dix intonations de base du français (fig. 2).Pour des études plus fines et plus limitées, que l’on veuille fixer soit une intonation régionale particulière, soit des phénomènes d’ordre expressif (phonostylistique), on est amené à déterminer une hauteur en soi de certaines syllabes. Les systèmes utilisés deviennent alors très proches des notations musicales (fig. 3), entretenant avec elles des rapports qu’il serait intéressant d’analyser.ApplicationsL’importance de la transcription dans la recherche linguistique n’est plus à démontrer, que ce soit sur le plan phonétique – pour la description d’usages particuliers de la langue à un moment donné (dialectologie) ou pour la reconstitution d’états de langue anciens à partir de documents écrits (philologie) – ou sur le plan phonologique, pour l’établissement des unités fonctionnelles d’une langue; et l’on sait le profit qu’en a tiré l’enseignement des langues étrangères.Il existe d’autres domaines, moins connus du public, où l’emploi de la transcription rend des services. On en signalera deux. Le premier est l’apprentissage de la lecture. L’enfant (ou l’adulte) qui apprend à lire doit vaincre deux difficultés, l’une inhérente à l’opération même qui consiste à rattacher des signes à des sons, l’autre due à l’incohérence de l’orthographe de sa langue. Pour faciliter cette tâche, Passy proposa vers 1915 de séparer les difficultés et d’apprendre d’abord à lire au moyen de l’alphabet le plus facile qui soit, l’alphabet phonétique. Le second domaine est l’écriture des langues de civilisation orale (langues africaines en particulier). L’International African Institute préconisa dans un petit mémorandum publié en 1930 l’utilisation d’un alphabet phonétique, celui de l’I.P.A. de préférence à celui de Lepsius dont les signes diacritiques en trop grand nombre ne pouvaient que ralentir l’écriture ou risquaient même d’être oubliés.TranslittérationsLa translittération a pour fonction la reproduction de textes écrits à l’aide d’alphabets autres que l’alphabet latin (cyrillique, hébreu, arabe, etc.), permettant ainsi le classement de la documentation dans les fichiers des bibliothèques. Afin de faciliter cette opération et d’éviter toute ambiguïté, l’Organisation internationale de normalisation (I.S.O.) a édicté des règles de correspondance d’unité graphique à unité graphique: «Le même signe doit être rendu toujours de la même façon, et en principe un signe d’un alphabet ne doit correspondre qu’à un seul signe de l’autre. On tâchera de ne rendre un signe par deux signes que lorsque l’alphabet latin n’offrira pas de possibilité raisonnable de faire autrement» (Recommandation I.S.O. R 9).Pour les langues à écriture «incomplète» (consonantique: hébreu, arabe, etc.), ces règles n’ont pu être appliquées sans modification, sous peine de conduire à des vocables illisibles. Aussi l’I.S.O. recommanda-t-elle la vocalisation préalable, c’est-à-dire la restitution des voyelles habituellement omises dans l’écriture de ces langues. Dans ce cas, la procédure n’est plus tout à fait automatique, car elle exige une bonne connaissance de la langue à translittérer.À côté de cette translittération internationale, normalisée, il existe une translittération populaire (presse), différente selon la langue dans laquelle elle est faite, car l’on essaie de se rapprocher le plus possible de l’écriture habituelle des sons dans la langue. Par exemple, le caractère cyrillique III, translittéré dans le système international š , est représenté en anglais par sh et en français par ch , conformément aux habitudes orthographiques de ces langues (cf. la translittération de l’alphabet cyrillique russe actuel est donnée à l’article SLAVES, tabl. 2).Une transcription n’est jamais gratuite, elle a un but, celui de fournir un certain nombre d’informations à des fins précises.Pour rendre compte d’une langue et de ses rapports avec la réalité, on peut soit considérer les faits phoniques à un haut degré d’abstraction, celui du fonctionnement de la langue (on utilise alors une transcription large qui ne note que les éléments pertinents de ce point de vue), soit se placer au maximum dans le concret, celui de réalisations particulières dans des contextes bien déterminés (la transcription est alors étroite et fait un usage abondant de diacritiques). Il ne faut pas croire cependant que l’on puisse rendre compte de tous les éléments de l’expérience: si précise que puisse être la transcription, elle reste toujours un choix motivé par l’hypothèse que fait son utilisateur sur le fonctionnement de la langue qu’il décrit. En aucun cas la transcription ne pourrait atteindre le degré de mécanisation que l’on attend de certaines translittérations.
Encyclopédie Universelle. 2012.